Maintenir le patient éveillé durant une opération du cerveau permet de vérifier en temps réel que ses facultés cognitives demeurent intactes. Une telle intervention de «craniotomie éveillée» a été réalisée pour la première fois en Valais en août 2022 par une équipe de chirurgiens, anesthésistes et neuropsychologues de l’Hôpital du Valais et de la Clinique romande de réadaptation.
« Nous opérons assez fréquemment des tumeurs du cerveau. En général le patient est totalement endormi. Cela permet notamment de bien fixer sa tête et de s’assurer qu’il ne bouge pas », explique le Dr Alexandre Simonin, médecin adjoint au Service de neurochirurgie du Centre Hospitalier du Valais Romand (CHVR), à Sion. « Mais, dans certains cas, notamment lorsque certaines zones importantes sont touchées, typiquement celles liées au langage, la technique de “craniotomie éveillée” est la meilleure pour la sécurité du patient. Elle nous permet de nous faire une idée en temps réel de l’impact de la chirurgie sur les fonctions importantes pour le patient. »
« Très concrètement, l’idée est d’avoir le patient qui reste éveillé pendant que nous lui retirons une tumeur au cerveau et de le faire parler ou de lui soumettre divers exercices. Par exemple en lui faisant réciter des chiffres, parler différentes langues, faire des calculs ou jouer de la musique… »
Le « patient idéal », Sébastien Bessard répondait aux critères exigés (lire l’encadré ci-dessous) et les chirurgiens lui ont donc proposé cette technique. « Il a compris que cela allait lui permettre de préserver ses fonctions tout en nous permettant d’opérer dans les meilleures conditions. Cela nous demande une importante préparation et nous oblige à aller assez vite durant l’opération, car la situation n’est pas très agréable pour le patient, qui a la tête fixée. Mais le gros du travail surtout réalisé par l’équipe d’anesthésie », souligne le Dr Simonin, qui a procédé à la chirurgie en compagnie du Dr Jean-Yves Fournier, chef du Service de neurochirurgie.
Crise d’épilepsie gérée avec de l’eau glacée
« Ce genre d’opération nécessite en effet une excellente anesthésie régionale et locale. Nous avons pu compter sur des experts, qui ont fait un travail remarquable. Ils ont dû moduler leurs produits et leur manière de procéder, qui est radicalement différente d’une procédure standard. Le patient n’a pas du tout souffert de douleurs et a pu rester éveillé tout au long de l’intervention. Nous avons même pu gérer une crise d’épilepsie, ce qui arrive parfois durant les opérations au cerveau, par l’administration d’une petite quantité d’eau glacée, préparée en vue de cette éventualité. Nous avons ainsi pu poursuivre la résection sans endormir le patient, car tout le monde savait que cela pouvait arriver et a pu réagir à temps. »
Des exercices durant l’opération
Durant l’opération, Fabienne Esposito et Gérard Wicky, neuropsychologues à la Clinique romande de réadaptation, ont soumis M. Bessard à différents exercices pour s’assurer qu’aucune fonction cognitive n’était touchée. « Lorsque le chirurgien stimulait certaines régions cérébrales à l’aide d’électrodes, nous testions les fonctions du patient en temps réel», explique Gérard Wicky.
« Nous lui avons fait dénommer des objets, répéter des mots et des phrases, calculer, lire et écrire ou encore retenir des informations en mémoire afin de nous assurer qu’aucune zone importante pour la fonction concernée ne soit touchée par la chirurgie. Et quand on parle de zone, on sait aujourd’hui qu’il s’agit surtout de réseaux cérébraux plutôt que de zones spécifiques dédiées. Avec M. Bessard, nous nous sommes surtout concentrés sur les fonctions de langage oral. »
« Sur le moment, on est tellement concentré sur ce qu’on a à faire, surtout qu’il s’agit d’une première, que l’on peine à voir le côté tout de même assez extraordinaire de la chose. La collaboration avec l’équipe de neurochirurgiens et les anesthésistes a été excellente. C’est chouette de participer à une telle opération qui permet vraiment de prolonger la vie des gens. » « Les équipes d’anesthésie et de neuropsychologie nous ont ainsi permis d’enlever tranquillement la lésion », résume le Dr Simonin. « Le patient a pu rentrer rapidement à la maison et se porte bien. Nous avons déjà pu procéder à un examen neuropsychologique qui a montré qu’il n’y a fait pas de déficit par rapport au même examen avant l’opération, ce qui était le but principal. Les résultats du laboratoire nous ont aussi appris qu’il s’agissait d’une tumeur qu’il fallait retirer, car elle pouvait dégénérer en quelque chose de plus malin, comme un vrai cancer du cerveau. »
Un défi également relevé par l‘équipe d‘anesthésie
« Pour l’équipe d’anesthésie, ce type d’opération était aussi exceptionnel », explique la cheffe du Service, la PD Dre Sina Grape. « Il s’agit tout de même d’ouvrir la boîte crânienne, et, si le cerveau n’est pas lui-même sensible à la douleur, les autres tissus et les os le sont. Il fallait donc que le patient soit confortable, avec une anesthésie locale, qu’il ne bouge pas d’un millimètre, tout en restant éveillé pour répondre aux sollicitations des chirurgiens et des neuropsychologues. »
Le Dr Holger Böhle a travaillé pendant 5 ans dans l’équipe d’anesthésie et réanimation neurochirurgicale du CHU de Grenoble et a pu ainsi se familiariser avec les techniques essentielles pour la craniotomie éveillée. « Le CHU de Grenoble accueille quelques opérations de ce type chaque année », explique-t-il. Environ un mois avant l’opération à Sion, le Dr Holger Böhle a fait encore un voyage à Grenoble pour une formation spécifique. La Dre Grape explique : « De mon côté j’ai contacté les collègues du CHUV qui ont également une très bonne expertise de la chirurgie éveillée, et leurs conseils nous ont permis d’affiner la stratégie anesthésique. Nous devions aussi être préparés à tout ce qui pouvait aller de travers : le patient qui ne supporte pas la situation ou l’anesthésie, des saignements, des mouvements du patient, ou une crise d’épilepsie, qui s’est d’ailleurs produite. »
Le patient idéal
« Nous avons aussi rencontré le patient avant l’opération, car il fallait bien sûr s’assurer qu’il ait bien compris comment l’intervention allait se dérouler, qu’il soit d’accord et coopérant. M. Bessard s’est avéré être le patient idéal », se souvient la Dre Sina Grape.
Anesthésie en deux phases
L’anesthésie proprement dite s’est déroulée en deux phases : « La première a consisté en une anesthésie générale, qui nous a permis d’installer le patient et de procéder à l’anesthésie locale. Puis les chirurgiens ont ouvert la boîte crânienne. Notre principal souci était le maintien de la respiration spontanée du patient, car nous n’avions pas accès à la tête, comme lors de l’opération d’un autre organe, pour assurer une ventilation externe si nécessaire. »
« Dans une deuxième phase, nous avons réveillé le patient qui n’était alors plus que sous anesthésie locale, afin qu’il puisse réaliser les exercices proposés par les neuropsychologues. Et je vous assure qu’ils n’étaient pas simples. J’ai moi-même essayé de résoudre les problèmes de calcul mental et de reconnaître les personnes sur les photos, ce n’était pas facile… Après la résection de la tumeur, le patient a de nouveau été endormi pour terminer l’opération et refermer la boîte crânienne. »
Prêts pour la suite
« Nous sommes aujourd’hui prêts pour répéter une telle opération le cas échéant, mais ces interventions restent rares. Elles ne sont jamais “standard” et on en compte tout au plus quelques-unes dans le monde chaque année. »
Une opération possible pour certaines tumeurs seulement
« En général on peut proposer ces chirurgies éveillées pour des tumeurs dites de bas grade ou de grade intermédiaire. Cela signifie qu’il ne s’agit pas d’un cancer très agressif du cerveau », explique le Dr Simonin. « Le plus important reste la survie. Dans les cas de cancers agressifs, le but reste d’enlever toute la lésion, sous anesthésie générale. »
« Dans le cas de patients présentant une tumeur de grade intermédiaire ou de bas grade, révélé par les examens réalisés avant l’intervention, on aimerait peut-être enlever toute la tumeur. Mais on souhaite aussi éviter un déficit, par exemple du langage, après l’intervention. Car même si la personne reste en vie, les années qui lui restent seront bien prétéritées si elle ne peut plus parler… »